La remise en question des moyens de preuve en matière de concurrence déloyale


Les moyens de preuve en concurrence déloyale mis à disposition du détective privé ne sont pas évidents. Son objectif principal sera de prouver la faute intentionnelle ou non intentionnelle du concurrent. Cette faute entraine la création d’une situation de concurrence déloyale. Cependant la tâche semble herculéenne. En effet :

  • d’une part aux vues de la complexité qu’implique la preuve de la concurrence déloyale,
  • d’autre part la difficulté  réside dans la nécessité de la loyauté de la preuve qui impose des dispositions particulières à respecter. 

La preuve de la concurrence déloyale va résider dans la démonstration de la faute du concurrent. Cette étape est nécessaire car il n’existe pas de présomption de faute du concurrent. La simple observation d’un déplacement de la clientèle ou d’une perturbation du marché ne saurait constituer un renversement de la charge de la preuve. C’est à la victime des faits de concurrence déloyale de prouver un agissement fautif, volontaire ou non. En l’absence de présomption, la validité entière de la procédure repose sur la preuve que réussira à fournir la partie lésée.

Le travail du détective privé sera donc d’une importance capitale pour obtenir gain de cause. Il pourra s’appuyer sur la jurisprudence afin de maximiser les chances d’acceptabilité de sa preuve. Cependant des évolutions récentes en la matière nécessitent une attention toute particulière à quiconque souhaite fournir une preuve recevable.

La preuve du détective privé est au centre du procès. Elle permettra, si elle est recevable, de faire cesser les faits de concurrence déloyale et d’obtenir une indemnisation. Les enjeux économiques reposant sur cette preuve sont importants.

En quelle mesure l’évolution jurisprudentielle de la Cour de Cassation restreint-elle la preuve fournie par le détective privé ?

Dans tous les arrêts rendu par la Cour de cassation concernant la recevabilité de la preuve, la Haute juridiction rappelle les grands principes de la recevabilité de la preuve. Et des évolutions jurisprudentielles récentes remettent en cause la pratique dite du Client mystère. 

Le rappel des limites traditionnelles de la preuve en concurrence déloyale fournie par le détective privé 

Toute preuve qui se veut recevable devra respecter deux critères indispensables relatif à leurs modes d’obtention. La Cour de cassation n’hésite pas à rappeler dans sa jurisprudence l’importance de ces critères. Ces critères de recevabilité sont : 

  • la proportionnalité en droit civil
  • l’absence “d’atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales”.

L’obligation de respect du principe de proportionnalité

preuevs concurrence déloyale

Pour que la preuve soit recevable, le détective privé devra respecter le principe de proportionnalité. C’est un principe qui s’applique in concreto. Le juge devra mettre en balance les avantages tirés de la procédure (la preuve). Mais aussi et les inconvénients générés lors de la collecte de la preuve. Ainsi le détective privé pourra conseiller au mieux le client sur les meilleures méthodes de preuve a adopter.

Cependant il est impossible de prédire la décision du juge. Le détective privé ne peut que faire une estimation basée sur les jurisprudences antérieures. Une jurisprudence de la 2° Chambre civile de la Cour de cassation datant du 17 mars 2016 (n°15-11.412) estime disproportionné une filature de 7 jours réalisé par un détective privé sur un employé qui serait soupçonné de concurrence déloyale en allant voir des clients autres que ceux prévus par l’employeur. La motivation de la Cour pour justifier la disproportion est l’absence de justification de l’employeur sur la motivation de sa filature. Il n’avait pas de preuve autre que des suspicions, et surtout, cette filature entraînait une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée. 

C’est un cas particulier. En général, la filature proportionnée, restreinte à un espace temps court est acceptable. (Or droit du travail) Cette règle n’est pas indérogeable. Dans le cadre des relations de travail il faudra motiver plus particulièrement la décision de filature. Cette règle est mise en place pour essayer de ne pas créer un environnement paranoïaque. Elle permet aussi de conserver des bonnes relations civiles entre les citoyens. Aux yeux du juge, l’intérêt de la preuve civil ne doit pas porter atteinte au bon fonctionnement de la société et aux relations entre particuliers.

Cet arrêt rappelle aussi que même si la preuve est difficile en matière de concurrence déloyale, le recueil de preuves participe à la préservation des droits du demandeur, notamment le droit à la preuve, mais que si la collecte n’est pas nécessaire et proportionnée, elle ne sera pas recevable. En matière pénale ce principe de proportionnalité s’apprécie différemment.

L’absence nécessaire d’atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales

Dans la jurisprudence pénale, la preuve est plus facilement acceptée car peu importe la démonstration, le juge ne peut pas ignorer un trouble à l’ordre public prouvé. Cependant la preuve recevable connaît des limitations, notamment la provocation à l’infraction.

La proportionnalité entre la nécessité d’obtenir la preuve et les inconvénients causés à autrui est appréciée bien plus largement qu’en droit civil. Il faudra une atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales selon la formulation de la Cour de Cassation dans un arrêt du 7 juin 2023. Il n’existe pas de liste exhaustive de tous les droits essentiels ou des garanties fondamentales. En l’espèce, la Cour de Cassation en chambre criminelle vient préciser que la technique du Client Mystère ne porte pas atteinte au droit à la vie privée.

Le réel problème réside dans la délimitation des droits essentiels et garanties fondamentales dont la violation permet d’exclure la preuve. En général, c’est la violation de la vie privée qu’on retrouve. Cette violation doit être conciliée avec la liberté d’entreprendre invoquée par les parties requérantes au pourvoi dans l’arrêt du 7 juin 2023. Les droits de première génération (civils et politiques) de la Convention européenne des droits de l’homme sont donc défendus à un certain degré par cette formulation. Cependant, la jurisprudence n’est pas encore assez étoffée pour pouvoir affirmer avec certitude que les droits économiques sociaux et culturels de deuxième génération soit aussi défendus par cette formulation contraignante de la preuve.

Ces rappels sont nécessaires à la compréhension de la démarche que la Cour de Cassation utilise en Chambre commerciale et criminelle pour aborder la pratique du client mystère.

Les évolutions jurisprudentielles limitatives de la pratique du Client mystère

Ces dernières années, la jurisprudence à affirmer des critères nécessaires à l’acceptabilité de la preuve par la technique du client mystère. Ces critères seront acceptés différemment en matière civile qu’en matière pénale.

La recevabilité problématique de la preuve par Client mystère en droit civil

Pour que la preuve du Client mystère soit recevable elle sera soumise au principe de loyauté. C’est un principe implicite découlant des articles 9 du Code civil et 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Ce principe impose que la preuve soit obtenue loyalement. La définition du terme loyal varie selon les jurisprudences. Mais on peut retenir l’idée générale que la personne doit avoir accès à la preuve sans porter atteinte à une liberté fondamentale de son concurrent en droit pénal. Le droit civil interprète la loyauté plus restrictivement. Par exemple, en matière de divorce seul les preuves accessibles “facilement” seront recevables. Par exemple, unmessage sur les réseaux sociaux, gardées sans mot de passe ou avec un mot de passe connu …

La chambre commerciale va rejeter la pratique du Client mystère plus facilement que la chambre criminelle. Ainsi dans un arrêt du 10 novembre 2021 (n°20-14.669), la chambre commerciale de la Cour de Cassation rejette une preuve issue de la pratique du client mystère.

En l’espèce, le rassemblement des opticiens de France pratique la technique du client mystère. Ils vérifient que des opticiens comme IMD Optic pratiquent des activités frauduleuses. Les clients mystères sont issus d’une société tiers, Qualivox, qui fournit des rapports de clients contre de l’argent. Les raisons pour lesquelles la Cour de Cassation à rejeté cette preuve sont :

  • Une professionnalisation liée aux différentes missions rémunérées entre le rassemblement des opticiens et Qualivox qui fait douter de la neutralité des rapports.

  • Une incitation à la fraude dans la manière dont le client s’est présenté aux vendeurs.

En matière civile, la doctrine considère automatiquement la pratique du client mystère comme déloyale. En effet, de par sa nature, la donctrine la considère comme un stratagème qui incite à la provocation de l’infraction. Elle considère également que les faux clients rémunérés ne sont pas neutre. 

Il paraît risqué, en matière civile, de faire jouer la recevabilité d’une preuve obtenue par Client mystère. La mise en place d’une telle pratique fera toujours douter de la neutralité des faux clients s’ils sont rémunérés en droit civil.

Cependant, Qualivox n’est pas une entreprise spécialiste de la preuve. Les détectives privés fournissent une preuve que la jurisprudence apprécie differemment. Même si la neutralité peut être plus facilement démontrée, cela n’écarte pas l’incitation à l’infraction que cette pratique implique. Il faudra attendre plus de jurisprudence sur ce sujet afin de déterminer s’il est possible d’écarter l’incitation à l’infraction. Pour le moment, la tendance en droit civil penche vers un bannissement automatique de cette pratique.

Une acceptation de la preuve par Client mystère exclusivement en droit pénal 

En matière pénale, la preuve est plus facilement acceptable au vue des enjeux du procès. Le but est de ne pas laisser perdurer le trouble à l’ordre public.

Depuis 2006, la jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de Cassation accepte la preuve fournie par la technique du client mystère. Cette jurisprudence à été réaffirmée le 7 juin 2023 (n° 22-83.338).

En l’espèce, la partie demanderesse au pourvoi avait contesté l’arrêt de la Cour d’appel. Cet arrêt retenait la preuve acquise par client mystère valable. La Haute juridiction pénale ne retient pas les arguments du prévenu. Ces arguments consistaient à rejeter la preuve fournie par “Client mystère”.

Pourtant, en droit pénal, la Cour ne retient pas la preuve de provocation de l’infraction. Or en suivant le raisonnement de la Chambre commerciale, la pratique du client mystère pousse à la provocation de l’infraction. La Haute juridiction pénale écarte cet argument. Elle explique que les démarches sont réalisées “sans provocation à l’infraction”, qui est interdite et ne constitue pas une preuve recevable. En effet, la personne provoquée ne l’aurait pas commise en temps normal, et la provocation à la preuve.

La provocation à la preuve consiste à pousser à réitérer l’infraction afin d’en démontrer la commission. Cette distinction est en place dans la jurisprudence pénale uniquement (arrêt de la chambre criminelle du 23 novembre 1999). Cette distinction permet de rendre la preuve recevable en droit pénal en gardant la provocation qui la rend irrecevable en droit civil. Ces deux jurisprudences à première vue contraire ce concilie donc dans la particularité de chaque branche du droit.

Le travail du détective privé sera mieux accueilli en droit pénal. En effet, l’acceptation de la preuve en concurrence déloyale est plus large.

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